Gouvernements, ne nous laissez pas mourir!

Dans mon dernier article, je vous démontrais l’importance de la participation de notre milieunaturel de vie (aidant naturel, famille et/ou nos propres intervenantshabituels) pour prendre soin de nous lorsque nous sommes hospitalisés. Les employés du réseau de la santé du Québec sont débordés et en manque d’effectifs pour être en mesure de bien prendre soin des personnes lourdement handicapées.

Lors de mon passage à l’urgence en avril 2013, je me suis fait « gronder » par le sosie musclé de Caillou en pleine nuit parce que je sonnais, car j’avais du mal. Comme si j’avais 4 ans et que je prenais plaisir à déranger ces travailleurs parfois maladroits ou incapables de suivre mes consignes pour qu’ils n’aient plus besoin de revenir à ma civière dure comme la pierre… Un autre jour, une infirmière refusait catégoriquement que j’utilise un lève patient pour faire mes besoins. « Ça donne trop d’ouvrage à nettoyer avant qu’il entre dans ta chambre et après que tu l’aies utilisé. » J’avais beau lui expliquer que la bassine me ferait mal au bas du dos, elle n’en avait rien à cirer. Bref, la collaboration avec le personnel en place n’est pas toujours chose facile. Ils sont parfois mal formés pour faire face à une clientèle handicapée aussi spécialisée.

Pour la prise des médicaments, température et autres gestes médicaux, les infirmières et inhalothérapeutes étaient présentes. Une visite éclair dans la chambre aux quatre heures. C’est tout ce que j’avais pour guérir avec notre système de santé. Heureusement, au travers tout ça, je pouvais compter sur mes employées régulières à domicile, mes p’tits anges. Elles me faisaient des pressions abdominales. Un truc que la vie m’a appris ces dernières années. Ça ressemble beaucoup à la manœuvre de Heimlich, mais en moins agressive. C’est une méthode de désobstruction des voies respiratoires que l’on apprend généralement lors des techniques de réanimation cardio-respiratoire (RCR). Couché sur le côté, la personne aidante place ses mains juste en dessous de la cage thoracique et avec une pression modérée sur le diaphragme, renforce le mouvement naturel de la toux. Si la personne enrouée se sent capable, l’augmentation de la pression sur le ventre facilite la sortie des sécrétions.

Après la toilette au lit: des pressions. Après le dîner et avant le souper: encore des pressions. En soirée, au lieu de la télé-réalité : toujours des pressions. L’instinct de survie j’imagine… Cette technique n’est pas sans solliciter l’effort constant des personnes qui s’affairent à faire sortir les dragons enfouis au fond de mes poumons. Mais avec leur complicité, j’ai pu réussir à expectorer plus facilement et ainsi me remettre sur pied plus rapidement. Je leur en serai toujours très reconnaissant. Merci encore les filles ! Vous êtes les meilleures !

Lorsqu’un aliment ou de la salive se faufile en hypocrite dans les voies respiratoires, un système de sécurité se met alors en branle. La toux commence. Au début, c’est une toux sèche, souvent inefficace. La pression émise par les poumons d’une personne handicapée n’est généralement pas suffisante pour expulser l’intrus. Après quelques minutes seulement, on peut sentir les sécrétions rouler dans la gorge. Habituellement, c’est suffisant pour faire bouger ce qu’il y a de coincé. Si ça ne fonctionne pas, il y a risque d’infection et ultimement, c’est la pneumonie d’aspiration. C’est souvent ce qui emporte les personnes handicapées qui ont de la difficulté à s’exprimer, ou qui ne comprennent pas ce qui se passe. Parfois, c’est la panique. Ils se sentent étouffés et ne savent pas quoi faire pour se soulager.

À force de vivre ces sentiments d’angoisse et d’impuissance, j’ai cherché des solutions. J’ai essayé différents équipements sur le marché médical pour en venir à cette méthode de pressions abdominales. Mais la clé de cette méthode restera toujours la présence humaine à proximité.

La chance que j’ai eue d’avoir mon propre personnel avec moi à l’hôpital m’a littéralement sauvé la vie. Lorsqu’on est atteint de plusieurs symptômes grippaux, il est conseillé de boire beaucoup d’eau. Au rythme où les infirmières et autres passaient me voir, il était presque impossible de m’approcher du deux litres de liquide à consommer quotidiennement pour éclaircir des sécrétions prisonnières de la cage thoracique.

Un bon après-midi, j’étais au lit, isolé dans ma chambre peu hospitalière. J’avais les yeux pleins d’eau en pensant à des amis que j’avais connus dans une résidence pour personnes handicapées. La majorité rencontrait souvent des difficultés respiratoires ou de pneumonie d’aspiration. J’étais déchiré entre l’espoir que je vivais de m’en sortir, versus la fatalité qui les a emportés. La majorité était atteint de paralysie cérébrale. La communication était quelque chose de très difficile pour eux. Ceux qui les côtoyaient sur une base régulière, arrivaient à les comprendre, mais pour un membre du personnel soignant de l’hôpital, c’était autre chose. Je m’imaginais la détresse respiratoire et l’incapacité d’exprimer clairement ses besoins. Ou encore pire, être à court d’idées pour se sortir de ce merdier. Se demandant qu’est-il en train de m’arriver ? Pourquoi personne ne m’aide ? Pourquoi ont-ils dit en catimini à ma famille qu’il ne me restait que quelques jours à vivre ? Pourquoi personne ne veut se battre avec moi ? Comment pourrais-je leur dire que je veux vivre et voir le soleil encore et encore ? Toutes ces questions sans réponse m’ont grandement attristé.

Si le gouvernement n’est pas capable de nous sauver la vie, de prendre en charge le rôle que la société lui a donné, s’il n’a pas de système précis et spécifique en place pour nous éloigner de la mort, qui le fera ? Et si ma technique de pression abdominale pouvait prolonger concrètement la vie d’une catégorie de personne ?

Article originalement publié dans le web magazine Handicap-Québec.