Quand le système nous laisse tomber

Premièrement, j’aimerais remercier Richard Guillemette de m’avoir invité à participer au web-magazine Handicap-Québec qui, espérons-le, saura toucher les personnes plus ou moins familières avec le quotidien des personnes handicapées physiquement. Richard et moi nous ne partageons pas toujours la même opinion idéologique et politique, mais je salue cette initiative bénévole de toutes parts, prouvant ainsi que l’on peut faire de belles et bonnes choses sans argent des gouvernements.
Comme premier article, j’aimerais vous partager mon dernier passage en centre hospitalier pour guérir une infection pulmonaire. Un événement qui m’a fait questionner sur les capacités du système de santé gouvernementale actuelle (nous sommes en 2012), à apporter les soins nécessaires et l’aide dont elle a besoin, à une personne physiquement handicapée. Est-ce que les hôpitaux laissent mourir les patients les plus vulnérables faute de ressources, ou est-ce une stratégie pour alléger le fardeau fiscal d’une population improductive ?
Est-ce que dans la façon dont je m’en suis sorti cette fois-ci, ne serait-il pas une façon d’envisager l’avenir, d’essayer d’augmenter le plus possible les chances d’un patient hospitalisé pour des difficultés respiratoires de s’en sortir ? De pouvoir contribuer à la société au meilleur de sa capacité ? De rester bien en vie, entouré des gens qu’il aime ? Évidemment, tout cela dans le respect du choix de la personne qui est atteinte. Si un individu a des difficultés personnelles lié à un son handicap ou à sa condition physique précaire, il est primordial que son choix de vie soit respecté. Choix de vie, incluant le choix de fin de vie.
À chaque fois où j’ai dû être hospitalisé ou alité pour des raisons de santé ces dernières années, j’ai toujours inclus activement mon cercle d’aidants naturel, mais aussi mon personnel à mon processus de guérison. Personnel que j’appelle si gentiment « mes p’tits anges ». De cette façon, je m’assure d’avoir des soins corporels donnés par des gens qui me connaissent et qui savent quelle partie de mon corps peut-être plus fragile ou vulnérable. Des gens disponibles puisque si ma condition physique était bonne, il se serait déplacé d’une façon ou d’une autre pour me venir en aide. De plus, aucune interruption salariale ne viendra chambarder le budget de ces précieux aidants qui travaillent bien souvent dans des conditions de pauvreté injustifiable.
C’est du personnel présent que nous avons besoin lorsque nous combattons la maladie. Sans vouloir juger les infirmières, les préposés et les inhalothérapeutes de ce monde, le temps alloué à chaque patient d’un département quelconque est nettement insuffisant lorsqu’il est question de manque d’autonomie. Au déjeuner, le personnel hospitalier nous réveille rapidement, ne nous donne pas suffisamment de temps pour mastiquer nos toasts froides. Dans mon cas, j’ai besoin de temps pour avaler sans risque de m’étouffer. C’est là que mon personnel angélique prend tout l’espace disponible. Nous avions suffisamment de temps pour bien déjeuner. Ensuite vient l’hygiène personnelle. Mon « staff » connaît les particularités de mon corps difforme, connaît la quantité de savon nécessaire pour réaliser un bain au lit.
En moyenne, un séjour à l’hôpital pour guérir une pneumonie ou une bronchite se situe entre 10 et 14 jours. Ma dernière visite à l’hôpital a duré 6 jours. J’estime avec fierté que les efforts et le temps supplémentaire que mes p’tits anges m’ont alloué m’a encore une fois sauvé la vie ! Que je suis tellement fier d’eux !
Parlant de bain. Je n’ai aucun souvenir durant les 15 dernières années (soit environ une cinquantaine de jours) d’avoir pris un bain lors d’une hospitalisation. La moyenne n’est pas forte comme vous pouvez le constater. Heureusement que les ministres de la Santé qui se sont succédé au fil des années affirment que notre système en est un parmi les plus efficaces. Si au moins nous avions une oreille attentive lorsqu’on exprime nos besoins. Ce serait beaucoup plus facile pour tout le monde.
Auparavant, c’était le personnel en place qui m’aidait. C’était évident qu’ils n’avaient pas le temps de respecter mon rythme. Pour m’aider à me retourner la nuit chez moi, j’ai un lève patient sur rail au plafond. C’est la clé de mon succès, le secret de la réussite de mon maintien à domicile. Il me permet de bouger un peu la nuit. Avec le nombre d’heures allouées par le CLSC (inutilement rebaptisé CSSS), il est impossible d’avoir une personne salariée de nuit qui veille au grain comme une Bonne Mère sur son nouveau-né. Alors, j’ai développé instinctivement ce truc suspendu au plafond qui me sert généralement pour mes transferts au fauteuil roulant, à la toilette, au bain… Il existe un autre modèle (celui qu’on retrouve généralement dans les hôpitaux). Comme une grue portative avec 4 roulettes.
Il y a une dizaine d’années, lors d’une hospitalisation pour une pneumonie, j’ai fait la demande d’un lève patient sur roues à l’infirmière en chef. Quel combat ce fut. Une infirmière en chef malheureuse, stressée et probablement très mal dans sa peau s’était mis dans la tête que je n’aurais pas le lève patient en question. Son argument premier était qu’il n’y en avait qu’un seul sur tout l’étage. J’avais beau lui dire que les gens dorment la nuit, que j’assumais le fait qu’un préposé ou une infirmière vienne le chercher à toute heure de la nuit, qu’il était impossible que je passe par-dessus les ridelles (barreaux du lit), que je ne risquais de m’infliger aucune blessure durant son utilisation, que l’appareil peut être fonctionnel même s’il est branché et utilisé en même temps… À court d’arguments valables, elle a donc contacté un administrateur qui est venu me voir et qui a immédiatement compris et accepté qu’il eût à faire à une personne consciente et capable de bon jugement. Par cette entente, nous évitions tous que je sonne frénétiquement toute la nuit pour me faire positionner les pieds, le bassin et les épaules confortablement, sans être médicamenté inutilement.

Dans mon prochain article, je vous raconte comment je me suis sorti vivant de mon passage en centre hospitalier. Comment mon personnel angélique a réussi encore une fois à me sauver la vie. Comment le système aurait à apprendre de cette expérience.  
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